Ce "p'tit caractère" dont on est fiers de se plaindre

Choupette me regarde, droit dans les yeux, et jette le playmobil par terre, du haut de la chaise haute où elle est assise, provoquant un bruit désagréable au sol, vrillant certainement les tympans de la vieille du dessous aux oreilles sensibles. Mais le plus désagréable, outre le bruit, c'est que j'avais dit "non, ne jette pas le bonhomme par terre". 

Désagréable, vraiment ? Allez, soyons honnête. Quand un pote me demande comment va la petite, je réponds invariablement : "En pleine forme, mais elle a de plus en plus son p'tit caractère !" Sous-entendu : elle est chiante, parfois...
Chiante, vraiment ? En fait je ne suis pas peu fier d'avoir un p'tit machin à deux pattes qui se défend et qui s'affirme. Curieusement, l'autre jour une collègue me disait, après un échange du même parfum, que dans son entourage d'amis en charge parentale, c'était fréquent de dire - avec un petit sourire de fierté à peine dissimulé - que le gamin avait un sacré caractère. 

Il y a vingt ans, il fallait être "sage"
Et c'est là qu'intervient la plus-value du quinqua. Parce qu'il y a une vingtaine d'années, quand ma grande de 22 ans était toute petite, le bonheur pour un parent était de dire "Ma fille ? Elle est sage, elle ne dit rien !" Eh oui, jeunes générations, joyeux trentenaires en charge d'une progéniture enfantine, il fut un temps non-préhistorique et post-soixanthuitard où l'on valorisait la soumision et l'avachissement, le silence et l'immobilisme chez l'enfant. Surtout chez la fille. Certes de façon différente selon le type de famille, bobo ou prolo, ouvert ou fermé, tourné vers le passé ou vers l'avenir, vers le canton ou vers le vaste monde, vers Le Pen ou vers les démocrates. Mais la tendance est là : aujourd'hui, c'est mieux d'avoir une personnalité affirmée, dès le plus jeune âge. C'est rassurant. Surtout dans un monde qui nécessitera de plus en plus d'être créatif, autonome et à l'aise avec les gens. Et c'est tant mieux, de laisser aux enfants le droit d'exprimer leur personnalité. 
J'entends d'ici les hurlements des timorés bloqués les pieds dans la glaise du "bon vieux temps" qui ne l'était pas : halte aux enfants-rois ! Il ne s'agit pas de ça. Comme tout droit, il ne peut s'épanouir que dans un cadre. Il ne s'agit pas de créer des ours exigeants, intolérants, dictatoriaux. Le respect des parents, des limites qu'ils doivent donner, font partie des règles indispensables qui permettent à l'enfant de se construire. C'est cet équilibre entre libertés et autorité qu'il est si difficile d'atteindre. Et qu'on n'atteint sans doute jamais à la perfection, mais vers lequel il faut tendre.

Ma grande fille de 22 ans n'est pas devenue nonne ou droguée, elle est épanouie et équilibrée. Et nul ne sait et ne saura jamais si elle l'aurait été encore davantage si je l'avais éduquée comme aujourd'hui j'éduque ma petite. Mais j'aime l'idée qu'on favorise aujourd'hui la personnalité des enfants, notamment chez les filles qu'on a trop longtemps bridées. Alors vas-y Choupette, jette tes jouets par terre en me défiant de ton regard bleu d'acier : je t'engueulerai certes, mais dans l'optimisme. 

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